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Категория: Статьи
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Russophobie  et  Russophilie

 

 

La guerre fratricide qui se déroule en Ukraine a fait naître un véritable ouragan de russophobie, d’une intensité encore jamais connue. Certes, les images qui nous sont déversées 24 heures sur 24 par les chaînes télévisées sont effectivement insoutenables et provoquent immanquablement des réactions spontanées compréhensibles, même si c’est sur le temps long qu’il convient d’analyser toute crise. En tant que chrétiens, et surtout orthodoxes, nous ne pouvons que condamner toutes les exactions d’où qu’elles viennent, prier pour toutes les victimes et prier qu’au plus vite s’établisse la paix et cesse cette tragédie.

Toutefois, nous ne voulons pas ici parler du conflit actuel entre la Russie et l’Ukraine, mais de la russophobie en général pour nous interroger sur les raisons de ce phénomène récurrent qui revient régulièrement avec des intensités différentes.

Rappelons d’abord que les phobies diverses sont des maladies mentales, ce qui ne saurait être mieux illustré que par la déferlante de russophobie actuelle. Que l’on nous comprenne : nous ne parlons pas des sanctions, qui peuvent trouver leur justification, prises à l’encontre des responsables de la Fédération de Russie, même s’il est permis de s’étonner du silence poli sur les exactions commises par les Ukrainiens durant les dernières huit années dans le Donbass, mais nous parlons de ce que nous appellerons des "sanctions collatérales" frappant des personnes ne portant aucune responsabilité avec les événements douloureux que nous vivons et venant jeter l’opprobre sur la Russie et les Russes.

Ainsi a-t-on vu, certes en Italie, des enseignements portant sur la littérature russe, sur Dostoïevsky (!) notamment, être supprimés du programme. A-t-on jamais banni Goethe en réponse aux exactions des nazis ? Des opéras de Tchaïkovsky – entendez bien : Tchaïkovsky ! – sont déprogrammés des concerts. Des chats de race russe sont bannis des expositions félines. Des sportifs handicapés russes sont interdits de compétition handisport. Des concerts programmés de longue date, sont supprimés sous prétexte que le chef d’orchestre était un Russe. Des collèges ou lycées portant le nom de Soljénitsyne sont débaptisés ! Peut-on imaginer plus grande stupidité ? Les exemples pourraient être multipliés. Ne sommes-nous pas là face à une authentique maladie mentale qui s’est emparée d’une certaine bien-pensance occidentale ?

Alors que Lénine, initiateur d’un régime abject comptant à son actif des dizaines de millions de victimes (soixante ?, cent millions ? personne n’est en mesure de donner un chiffre exact), et lui-même responsable de crimes contre l’humanité avérés, bénéficie jusqu’à aujourd’hui d’une totale mansuétude, d’une certaine aura même. En son honneur, dans un nombre incalculable de villes de France, des rues portent son nom, néanmoins l’idée salutaire de débaptiser ces rues ne viendrait à l’esprit de personne. Pourquoi ? - demanderez-vous.Parce que, s’il existe dans l’inconscient des Occidentaux un sentiment de russophobie, toujours prêt à renaître, en revanche il n’y a jamais eu de sentiment de soviétophobie.

A des périodes de russophobie paroxysmiques succèdent de longues périodes de russophobie ordinaire que l’on peut déceler dans l’amalgame entre ce qui est proprement soviétique, et ce qui est russe, admettant de façon scandaleuse qu’il y ait une continuité naturelle entre la Russie et l’URSS. Ainsi, on trouve plaisant de nommer "tsars russes" les dictateurs soviétiques, faisant de la sorte porter à la Russie les tares du soviétisme, de l’idéologie et des crimes soviétiques ou post-soviétiques. Ainsi, et cela peut être aisément vérifié par toute personne objective, il est de notoriété que l’on a toujours parlé des chars russes qui écrasaient la liberté en Hongrie et en Tchécoslovaquie, mais qu’en revanche ce sont toujours les patineurs soviétiques qui raflaient les médailles d’or. Tout comme la conquête spatiale a toujours été mise à l’honneur des Soviétiques. Ainsi, on met sur le compte de la Russie d’avoir organisé la famine en Ukraine – le fameux Holodomor – alors que ce n’est qu’un des crimes du soviétisme et des bolcheviques organisé sur ordre du Géorgien Staline, alors que l’Ukrainien Khrouchtchev était Secrétaire général du Parti communiste ukrainien et un des principaux responsables des grandes purges staliniennes.

Inversement, les mérites manifestes de la Russie sont purement occultés. On n’en parle pas, ce qui est une variante passive de la russophobie. Durant la première Guerre Mondiale la Russie fut une alliée exemplaire, n’hésitant pas à sacrifier ses propres intérêts pour la cause Alliée. Ses sacrifices ne reçurent aucune reconnaissance à une exception près, mais de poids, celle du maréchal Foch qui n’a pas craint de déclarer : « Si la France n’a pas été rayée de la carte de l’Europe, c’est à la Russie qu’elle le doit ». Toutefois, un siècle plus tard lors des commémorations du début ou de la fin de la Grande Guerre, la contribution majeure de la Russie à la victoire finale est totalement ignorée, le sang qu’elle a versé évaporé, on en est même à se demander si la Russie a participé à cette Guerre. En revanche, les Etats-Unis qui, selon leur habitude, s’engagent lorsque le dénouement approche, sont abondamment couverts de louange pour leur participation décisive !

Certes, les fameux « Ballets Russes » au début du XX° siècle, et même après la révolution bolchevique, générèrent un engouement pour les Russes et la Russie. L’arrivée massive d’Émigrés russes et le bouillonnement qu’ils amenèrent dans tous les domaines de la culture et de la vie parisienne, les restaurants et les cabarets russes, firent fleurir une sympathie certaine et même une forme de russophilie. Toutefois, pour ne parler que d’un seul domaine, celui de l’école et de l’université, l’image de la Russie, l’histoire de la Russie, pendant tout le XX° siècle ont été systématiquement présentées, enseignées, inculquées à travers le prisme de la vision soviétique et sa présentation d’un Tsar faible, d’une Russie arriérée, prison des peuples, expliquant l’avènement nécessaire et indispensable de la révolution reste une des manifestations durables de la russophobie que nous dénonçons.

Une conscience authentiquement russe ne peut qu’être profondément blessée par ces amalgames, qui sont autant d’injures, mélangeant la Russie et ce qui n’est pas la Russie, lui faisant porter une opprobre dont elle n’est en rien responsable. L’URSS n’est pas la Russie, elle est une anti-Russie et s’il est déraisonnable de considérer la Fédération de Russie comme une simple continuation de l’Union Soviétique, elle non plus n’est pas, beaucoup s’en faut, la Russie retrouvée, tout comme le Patriarcat de Moscou actuel n'est en rien l'Eglise Orthodoxe Russe authentique, mais bien l'héritière de l'Eglise soviétique créée par Staline sur la base de la Déclaration de loyauté au pouvoir soviétique signée en 1927 par le Métropolite Serge /Stragorodsky/.

La Russie multiséculaire, la Russie orthodoxe, qui du point de vue moral émerge au-dessus des autres nations et peuples, nous pouvons la voir dans son comportement lors de sa victoire sur Napoléon en 1814. L’entrée victorieuse du Tsar russe à Paris à la tête de sa glorieuse Armée en est un exemple frappant, qui serait à comparer avec l’entrée de l’armée soviétique à Berlin en 1945, pour se convaincre que l’URSS n’est en rien l’héritière de la Russie. Et comme cet épisode de l’histoire de France est méconnu, nous proposons ci-dessous une traduction d’un article rédigé en 2014 à l’occasion du bicentenaire de cet événement mémorable, et pourtant si peu connu, ce qui devrait permettre à chacun de voir et comprendre ce qu’était la Russie, ce qu’est notre Russie, tout comme ce qu’elle n’est pas et ne saurait être.

 

Protodiacre Germain Ivanoff-Trinadtzaty

 

 

 

 

Bicentenaire de la victoire sur Napoléon

 

Les Russes à Paris

 

 

L’année 2014 qui s’achève a été marquée par deux événements commémoratifs majeurs : le centenaire du début de la Première Guerre Mondiale, qui fut également pour la Russie la Deuxième Guerre Patriotique, et le bicentenaire de l’achèvement glorieux de la Première Guerre Patriotique marqué par la victoire définitive sur Napoléon, cet homme qui avait pensé pouvoir conquérir la Russie et devant qui l’Europe entière tremblait.

1814 a brillamment conclu les événements et les exploits militaires de la glorieuse année 1812,restée mémorable par des événements, certes,divers. La bataille de Borodino, qui s’est achevée sans réel vainqueur ni vaincu, mais qui est restée pour les siècles une bataille légendaire d’un temps où la guerre, en dépit de souffrances inévitables et d’horreurs, avait un sens chevaleresque et noble. Après la bataille de Borodino, le feld-maréchal Koutouzoff décida de suivre une voie risquée de joueur d’échecs, incomprise de nombre de ses contemporains. Il savait pertinemment que la poursuite d’une confrontation directe avec l’ennemi n’apporterait rien de bon, si ce n’est de nouvelles victimes humaines en nombre incalculable, voire l’anéantissement de l’Armée Russe. Et il prit cette décision aussi audacieuse que désespérée : livrer Moscou, mais de façon telle qu’elle se transforme en piège pour Napoléon. Le généralissime russe s’avéra être plus subtil que celui qui était universellement considéré comme étant le plus grand stratège militaire. Napoléon avait tout juste eu le temps de pénétrer dans Moscou aux sons de la musique militaire, qu’aussitôt commencèrent les pillages et les pogroms par l’Armée française, mais dès le lendemain il comprit qu’il allait lui falloir quitter ce lieu si symbolique, cœur de la Troisième Rome, devant l’incendie impétueux qui avait embrasé la ville.

Regardant ce spectacle grandiose, complètement pâle, Napoléon réalisa soudain la situation il se trouvait et à quelle force spirituelle invincible il était confronté. « Quel spectacle effrayant ! Ils incendient eux-mêmes leur ville … Quelle détermination, quelle volonté ! Quels hommes ce sont ! Ce sont des Scythes !». Oui, disparaître, mais surtout ne pas rester aux mains de l’ennemi. A l’image de grands commandants navals qui préféraient dynamiter leur navire plutôt que d’avoir à baisser le pavillon de Saint André, Moscou toute entière, ainsi que l’ensemble du peuple russe, n’hésitèrent pas à saborder leur ancienne capitale afin qu’elle ne tombe pas aux mains de l’ennemi. Et l’on vit toute la Russie partir en campagne, qui une hache à la main, qui un sabre, qui un gourdin, qui armé d’un fusil ....

Napoléon avait définitivement compris que ce qu’ilavait pris d’abord pour une victoire brillante équivalait à une défaite, n’était en réalité qu’une victoire à la Pyrrhus. Il comprenait qu’il ne parviendrait pas à en finir avec la Russie et il se mit à adresser fiévreusement des dépêches au Tsar russe (« Sire, mon Frère !…) lui proposant la signature d’une paix mutuellement avantageuse, dépêches auxquelles l’Empereur Alexandre I – qui par la suite mérita de recevoir le nom de ''Alexandre Béni de Dieu'' – ne répondait même pas ! Le général comte de Lauriston, aide de camp de Napoléon, avait reçu pour mission de rencontrer le feld-maréchal Koutouzoff afin d’obtenir une promesse de paix honorable. « Il me faut la paix, il me la faut absolument, quoi qu’il en coûte . Préservez seulement l’honneur ». Et le messager reçut encore l’instruction suivante : « Partez sur le champ et rendez vous au camp des Russes ». Lauriston transmit le message et les souhaits de Napoléon qui ne produisirent aucun effet sur Koutouzoff. A l’issue d’une heure de conversation parfaitement infructueuse et faute d’autres arguments, Lauriston, désespéré, s’écria : « Mais enfin, n’est-il pas temps d’arrêter cette guerre » ? - « Arrêter la guerre ? Mais nous l’avons à peine commencée ! », répondit Koutouzoff avec la satisfaction d’un joueur d’échecs menant une combinaison complexe à plusieurs coups d’avance.

Le vieux stratège plein de sagesse, fatigué d’une vie longue et pénible, savait qu’il ne lui restait plus très longtemps à vivre, et voulait donc terminer ses années de service remarquable rendus à sa patrie par une dernière manœuvre brillante et il fit montre de sa très haute compétence militaire :« Nous ne vaincrons pas Napoléon. Nous allons lui jouer un tour ».

Napoléon, qui était un joueur d’échecs non moins ingénieux, ne tarda pas à comprendre qu’il avait été totalement berné et qu’il ne lui restait plus qu’une seule chose à faire – dès que possible,pour éviter le pire, quitter sans délai la Russie et rentrer chez lui. C’est un fait que lorsque la chance tourne, un échec en entraîne irrémédiablement un autre … Napoléon venait d’apprendre que son commandant le plus vaillant, le maréchal Murat, avait subi de très lourdes pertes dans la bataille de Taroutino et avait dû fuir piteusement devant les forces russes emmenées par des généraux aussi glorieux que Bennigsen, Konovnitsyne, Orloff-Denissoff et d’autres. La bataille de Taroutino a marqué un véritable tournant historique pour la Grande Armée napoléonienne, qui jusque là volait de victoire en victoire à travers l’Europe, et qui perdit soudainement tout son éclat, son prestige antérieur et surtout ce sentiment d’invincibilité qui ne la quittait pas jusqu’alors.

Les défaites militaires, les échecs diplomatiques, la guerre de partisansmenée contre le conquérant ce qui, notamment, privait les forces d’occupation de toute possibilité d’approvisionnement, tout cela contraignit un Napoléon jusqu’ici si fier à prendre sans tarder la décision de quitter Moscou, ce qui fut réalisé dès le lendemain de l’annonce de la défaite de Taroutino. Mais avant son départ, Napoléon, furieux, donna l’ordre d’emporter toutes les valeurs possibles du Kremlin et de Moscou. Les cathédrales, les musées, les maisons nobles furent complètement pillés. Ceux qui résistaient étaient abattus sur place. Les biens pillés étaient entassés dans des charrettes, et comme si cela ne suffisait pas, Napoléon montra son for intérieur en ordonnant au maréchal Mortier de faire sauter les principaux sites du Kremlin et de Moscou avant de battre en retraite. De nombreux édifices architecturaux sans prix ont souffert de cette décision, notamment le palais à Facettes, la tour Arsenal et la tour Nikolsky et bien d’autres, mais grâce à Dieu beaucoup ont été sauvés du fait que, le temps étant pluvieux, cela permit d’éteindre de nombreuses mèches allumées, alors que d’autres furent piétinées par les moscovites eux-mêmes. « J’ai quitté Moscou après avoir ordonné de faire sauter le Kremlin » se vantait fièrement Napoléon dans une lettre à sa femme le 10 octobre 1812 ...

Mais il y eut encore d’autres profanations, bien plus douloureuses pour la conscience et l’âme russes que les destructions et les pillages matériels, ce sont les sacrilèges et les blasphèmes qui accompagnèrent la présence des occupants français à Moscou … De nombreuses églises furent profanées, notamment la cathédrale de la Dormition, le fameux Ouspensky sobor du Kremlin qui fut intentionnellement transformé en écurie où l’on entrait à cheval, les châsses contenant des saintes reliques avaient été emplies de toutes sortes d’impuretés. A la place de l’autel brisé de la cathédrale de Kazan traînait un cheval crevé, et des tonneaux de vin troués se trouvaient là. Il est vrai qu’un peu plus d’un siècle plus tard cette même cathédrale fut rasée par des barbares d’une espèce encore pire, les bolcheviks, et des toilettes publiques furent érigées à l’emplacement même de ce saint temple, ce qui montre au passage la parenté unissant tous les révolutionnaires. Après le départ des Français de Moscou, la cathédrale de la Dormition a dû être scellée afin que les orthodoxes ne voient pas les atrocités et les outrages qu’avait subis ce sanctuaire si cher au cœur russe.

Tel est le souvenir que les Français, ce peuple ''civilisé'', laissèrent derrière eux en Russie ...

Pour l'armée napoléonienne autrefois si fière, le retour à la maison s'est transformé en une déroute complète et une fuite désordonnée. Ce fait est accessible à chacun ne serait-ce qu’en lisant Guerre et Paix de Tolstoï, mais nous sommes ici plus intéressés par l’issue de la retraite désordonnée de Napoléon et la victoire finale chevaleresque de la Russie.

Le 17/29 mars les troupes alliées approchaient de la banlieue parisienne. Les Français avaient environ quarante mille soldats pour la défense de la capitale sous le commandemant en chef du frère de Napoléon, Joseph Bonaparte. Une bataille acharnée avait duré plusieurs heures faisant un grand nombre de victimes. Mais le 18/30 mars, Joseph Bonaparte, voyant du haut de Montmartre l'impressionnante progression des troupes alliées, quitta le champ de bataille, laissant à ses généraux le pouvoir de livrer Paris à l’ennemi. La capitulation fut signée à 2 heures du matin le 19/31 mars. À 7 heures du matin l'armée française était amenée à quitter la capitale et trois heures plus tard avait lieu l’entrée triomphale des troupes alliées avec l'empereur Alexandre Ier en tête, monté sur un cheval blanc quilui avait été offert par Napoléon après la conclusion de la paix de Tilsit. Les troupes russes entrèrent sous unroulement de tambours par la porte Saint-Martin. La marche cérémonielle à travers Paris avait duré cinq heures et s'était terminée par un défilé solennel et une prise d’armes, qui furent le dernier accord de la victoire de la Russie sur Napoléon. Ce fut un jour de triomphe absolu, et pour le Souverain ce fut sa vengeance personnelle pour le 2/14 septembre, lorsque les Français étaient entrés à Moscou, mais une vengeance non sanglante.

Après les atrocités commises à Moscou, les parisiens craignaient, non sans raison, pour leur ville et en général attendaient avec crainte la vengeance des Russes. A la veille de l'entrée des troupes russes une Convention sur la reddition de la capitale française fut signée, dont l'article 8 stipulait : « La ville de Paris est recommandée à la magnanimité des Souverains alliés », et tout d'abord, bien sûr, à la magnanimité de l'Empereur russe, qui avait pourtant quelques exigences réelles à présenter aux vaincus. Cependant, Alexandre a non seulement interdit à ses soldats et officiers tout acte de pillage et tout maraudage, mais « a également ordonné d’épargner l'humiliation à la ville de Paris et de transférer ses clés dans un musée étranger ».

S'adressant aux soldats, le Souverain déclara : « Pas de vengeance ! Pas d'inimitié ! Braves guerriers, la gloire du monde vous appartient, car vous êtes les premiers responsables du succès ! » Puis le tsar libéra tous les prisonniers français, ordonna d'arrêter immédiatement les vols, les pillages et toutes les représailles contre les bonapartistes. S'adressant aux représentants de Paris, Alexandre Ier leur déclara : « Je ne rendrai pas à la France ni aux Français le mal qui nous a été fait, mon seul ennemi est Napoléon ».

Les Français avaient légitimement peur de ces ''barbares du nord'', comme Napoléon appelait les Russes, et s'étonnaient de la générosité et de la bienveillance d'Alexandre. « Je n'ai qu'un seul ennemi en France », – répétait le tsar, « et cet ennemi est un homme qui m'a trompé de la manière la plus indigne... Tous les Français, sauf lui, jouissent de maconsidération... ».

Très vite, le peuple comprit que le désir profond de l'Empereur de Russie, comme devait l'écrire plus tard le principal historien français du XIXe siècle Adolphe Thiers, était de «vaincre ce peuple avec magnanimité, c'est ce à quoi il aspirait le plus à ce moment-là».

C'était étonnant et surprenant de voir avec quel enthousiasme et quel intérêt les Parisiens accueillaient les troupes d'occupation, et en particulier les Russes. Michel Orloff a écrit dans ses souvenirs : « Toutes les rues par lesquelles les alliés devaient passer, et toutes les rues adjacentes étaient bondées de gens qui occupaient même les toits des maisons. Avant cela, les Russes leur étaient dépeints sous des couleurs si sombres de ''barbares du nord'' que les Français se rendirent très vite compte qu'ils avaient été victimes de la désinformation et de la propagande napoléonienne, et cela produisit presque instantanément l'effet inverse – sympathie ouverte pour ces Russes débonnaires, que l’on présentait comme des ''sauvages'', mais dont les commandants parlaient un excellent français. Entre autres preuves, il convient de souligner les observations du grand écrivain, alors jeune garçon de douze ans, Victor Hugo : « Les Cosaques ne ressemblaient pas du tout à leurs images : ils n'avaient pas de colliers en oreilles, ils ne volaient pas de montres et ne mettaient pas le feu aux maisons. Ils étaient agréables et polis. Ils traitaient Paris avec beaucoup de respect, c'était une ville sacrée pour eux ».

Des relations parfaitement amicales se sont rapidement établies entre les vainqueurs et les vaincus, surtout après que nos soldats – ces "Asiatiques sauvages" – aient résolument réprimé toutes les tentatives des Autrichiens de dévaliser la population locale. Une historienne contemporaine, Marie-Pierre Rey, professeur à la Sorbonne, a publié cette année un livre remarquableUn Tsar à Paris, où elle écrit : « Alexandre Ier s'est montré très généreux et miséricordieux envers la France et Paris notamment... Et s'il emportait avec lui quelques objets d'art (tableaux, sculptures...), alors il les achetait ou les recevait en cadeau» !

Comparés aux Prussiens et aux Autrichiens, qui se comportaient en vandales, pillant les tableaux du Louvre, les Russes jouissaient d'une sympathie incomparablement plus grande parmi les Parisiens. L'occupation russe de Paris est devenue un exemple de la véritable noblesse de notre peuple et de notre Armée, notammentpar contraste avec la barbarie sauvage des violeurs et maraudeurs napoléoniens dans les villes russes. À propos du comportement des Russes, un officier français a témoigné lors d'une conversation avec le futur décembriste Ryleev: «Je vous parle en ami, car vos soldats et officiers se comportent comme des amis. Votre Alexandre est notre protecteur et bienfaiteur, mais ses alliés sont de véritables sangsues».

Marie-Pierre Rey écrit à juste titre qu'un tel comportement de conquérants ayant atteint la capitale de l'ennemi vaincu, est « un cas unique dans l'histoire ». Unique ! Des cris enthousiastes se faisaient entendre à Paris : «Vive Alexandre ! Vive la Russie !». On pouvait même entendre des slogans comme : «Alexandre, reste avec nous, tu seras notre roi !». Mais non, Alexandre Ier a préféré restaurer la monarchie et le pouvoir légitime des Bourbons, appelant le frère cadet du roi exécuté, Louis XVIII, à monter sur le trône ancestral. Puis, de tous les monarques vainqueurs ilfut le premier à quitter Paris le 2 juillet 1814, après avoir fait la dernière revue solennelle de ses troupes dans la capitale française. Il quitta la France non pas un jour au hasard, mais à la veille de la première réunion du nouveau parlement français, pour ne pas embarrasser Louis XVIII, donnant l'impression qu'il est son tuteur et s'immisce dans les affaires intérieures de la France. Il est dommage que cette noblesse de notre Souverain n'ait pas rencontré une reconnaissance bien méritée de la part du monarque restauré par la Russie. La morgue des Français en a probablement été la cause ...

Vaincre par la magnanimité. Avant de quitter Paris, Alexandre Ier s'opposa aux revendications des Autrichiens et des Prussiens et insista surtout pour qu'il n'y ait pas dans le traité de paix signé d'indemnités territoriales présentées à la France qui devait retrouver ses frontières naturelles pré-révolutionnaires. Tout simplement l'intermède napoléonien s’achevait. Aussi, après les ''Cent-Jours'' de Napoléon, qui se soldèrent par une défaite à Waterloo, c'est Alexandre Ier qui sauva Paris des excès de vengeance des Alliés enragés qui voulaient traverser Paris avec l'épée et le feu. Aussi, le Souverain traita très noblement la famille de Napoléon et le tyran corse lui-même. De plus, le 30 mai, lors de la signature du traité de paix, il insista pour que tous les objets d'art capturés lors des campagnes napoléoniennes et exposés dans les musées parisiens à titre de trophées y restent.

Nous pourrions citer beaucoup d'exemples de cette complaisance et de ce comportement noble. Il y a un cas amusant où les royalistes avaient proposé de renommer le pont d'Austerlitz, nommé ainsi en mémoire de la victoire napoléonienne, ce à quoi, repoussant cette proposition, l’Empereur russe répondit avec hauteur : « Il suffit que les gens sachent qu'Alexandre est passé sur ce pont avec son Armée» !

Un autre cas instructif méritant d’être signalé concerne la visite par l’Empereur du musée du Louvre. Le Souverain constata qu'un certain nombre de chefs-d'œuvre parmi les plus rares manquaient à l'appel et il se rendit compte que c'était le résultat d'une mesure de précaution de la part du directeur du musée, le baron Denon, qui cachait les pièces les plus rares de peur qu'elles ne soient subtilisées comme trophées.Une telle méfiance envers lui et sa parole offensa profondément le Tsar : « N'ai-je pas promis que les monuments seraient préservés ? Pensent-ils que j'ai l'intention de négliger ma parole ?

Ici, la mesquinerie du directeursaute aux yeux en comparaison du caractère magnanimedu Tsar russe. Mais le plus drôle est ceci : il faut savoir que Denon était le principal conseiller de Napoléon pour la sélection des œuvres d'art saisies dans les pays conquis sous forme de réparations de dommages de guerre ! Au lieu d'être reconnaissant que les Russes n'aient pas pillé le Louvre ni les autres musées, qu’ils n’aient pas emporté avec eux une seule peinture de Paris, Denon avait manifestement mesuré l'Empereur russe à sa propre mesure.

Mais quel Français d'aujourd'hui, si fier à juste titre de son musée unique, sait que la richesse du Louvre est due en grande partie à l'incroyable désintéressement des Russes manifesté il y a deux siècles ? Peu de gens en ont même entendu parler : ce fait n'est connu que de rares historiens curieux.

Mais pour nous, le plus remarquable et le plus mémorable reste ce que l'on a appelé "l'apothéose de la gloire russe parmi les étrangers".

La providence a voulu que l'abdication de Napoléon ait lieu durant la Semaine Sainte, cequi a été perçu par l'Empereur de Russie comme un signe d'en haut de sa mission divine. Cette année-là, Pâque était célébrée le 29 mars/10 avril, et cette Résurrection Lumineuse du Christ de 1814 resta certainement la plus insolite et la plus solennelle dans la vie d'Alexandre Ier, qui avait décidé que la Sainte Orthodoxie russe devait laver l'impiété des révolutionnaires français. Pour ce faire, il ordonna d'ériger en plein centre de Paris, sur la place de la Concorde - l’équivalent français de notre maison Ipatiev - une estrade majestueuse, sur laquelle fut installé un autel de taille impressionnante, autour duquel se tenaient sept prêtres russes du clergé régimentaire, en habits liturgiques de Pâque. Quatre-vingt mille soldats se rassemblèrent autour de cet autel improvisé et des foules de Parisiens se pressaient autour des Tuileries et le long des quais de Seine.

Le 21 janvier 1793, sur la place de la Concorde, qui portait auparavant le nom du Roi Louis XV, puisrebaptisée place de la Révolution, le Roi Louis XVI, cet authentique monarque chrétienqui n’était responsable d’aucun des crimes qu’on lui imputait, fut sauvagement exécuté sur l'échafaud. Nous ne craignons pas de dire de lui qu’il était un authentique monarque chrétien, en dépit du fait qu'il était un fils fidèle de l'Église catholique. Nous renvoyons ceux qui seraient surpris par ce jugement à son Testament tout simplement magnifique et d’un esprit purement orthodoxe. On peut dire sans exagération que, tout comme notre saint Tsar-Martyr Nicolas, le Roi est mort en vrai martyr chrétien. Quelques mois plus tard, la Reine Marie-Antoinette et prèsd’un millier et demi d'autres victimes furent guillotinées au même endroit.

Ce fut la réponse de la Monarchie orthodoxe à la révolution athée. Une réponse sans vengeance. Une réponse par la prière. Une merveilleuse réponse du Tsar russe et de l'Orthodoxie russe à l'impiété des révolutionnaires ! Voilà ce qu’était notre Russie !

Débuta unecélébration religieuse magnifique. Mille bouches de guerriers chrétienslaissèrent éclater un puissant « Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! ». La comtesse de Choiseul décrit ainsi le service solennel pour le repos de l'âme du Roi-Martyr : « Les voix chantaient harmonieusement le Te Deum, l'odeur de l'encens se répandait dans l'air, et tout le monde voyait les princes et leurs guerriers s'agenouiller pour recevoir la bénédiction divine… ».

Pour sa part, l’Empereur Alexandre I se souvenait avec émotionde ses propres sentiments dans une lettre à son ami le prince Galitsyne : « Pour mon cœur, ce fut un moment solennel, excitant et terrible. Voilà, me disais-je, où j'ai conduit, par la volonté incompréhensible de la Providence, mes soldats orthodoxes, afin que nous tournions nos prières communes vers le Seigneur : dans la capitale de notre ennemi, qui venait il y a encore peu d'attaquer sauvagement la Russie. Et à l'endroit même où le Roi fut victime de la fureur populaire... les "Fils du Nord"ont accompagné par la prière le Roi de France dans sa dernière demeure. Le Tsar de Russie et son peuple ont prié selon le rite orthodoxe, et ainsi cette placeensanglantée a été lavée du sang innocent versé ».

« Après la fin de la célébration religieuse», écrivait encore le Tsar, «notre Triomphe spirituel a pleinement atteint son but. Il était même amusant de voir comment les maréchaux français, comment la nombreuse phalange des généraux français se pressaient près de la Croix russe et se poussaient les uns les autres pour pouvoir au plus vite la vénérer. L’enchantement était général, les Français semblaient abasourdis par le triomphe spirituel des Russes ».

Un authentique Triomphe de l'Orthodoxie en plein cœur de Paris! Le triomphe de la Russie orthodoxe ! Quel enseignement, quelle leçon de conduite chrétienne dans un pays étranger !

Les Russes ont laissé non seulement une leçon spirituelle, mais encore une leçon morale : une leçon sur la façon dont une armée victorieuse devait se comporter avec un peuple vaincu et un pays vaincu. Le service des troupes d'occupation était exemplaire, la moindre violation de la discipline était réprimée, le plus petit larcin était puni. Pendant toute la durée de l'occupation de Paris, un seul cas de viol d'une femme est connu, pour lequel l'auteur a été exécuté. Les Russes n’ont même pas laissé de dettes en France — le comte Vorontsoff, commandant du corps d'occupation russe, atenu à payer sur ses fonds personnels toutes les dettes contractées par les officiers russes en France et qui s'élevaient à un million et demi de roubles, ce pour quoi les autorités françaises lui ont témoigné une reconnaissance officielle ! Et dire que seulement deux ans auparavant, les Européens "civilisés" pillaient en Russie magasins, entrepôts, maisons et temples, tuaient des civils, violaient des femmes, transformaient des temples sacrés en écuries...

Que personne ne pense que nous donnons ici une image idéalisée et fictive. Nos paroles sont confirmées par des faits historiques et des témoignages de milieux français faisant autorité. Lorsque, en juin 1814, les Russes cédèrent à la Garde nationale française le pouvoir militaire à Paris, le baron Osten-Sacken se démit de son titre de gouverneur général. A cette occasion, entre autres cadeaux, le conseil municipal lui remit, en signe de gratitude et de reconnaissance, une épée d'or sertie de diamants, sur une face de laquelle était inscrit : « Paix de 1814 », et sur l'autre : « Ville de Paris au général Saken » pour le fait d’avoir « établi la paix et la sécurité à Paris, d'avoir épargné à la capitale des dépenses inutiles, protégé les offices et les tribunaux, de sorte que les habitants, grâce à sa vigilance, pouvaient vaquer à leurs activités ordinaires et se considérer eux-mêmes non pas en état de guerre, mais jouissant de tous les avantages et garanties du temps de paix ».

Le prince de Talleyrand exprima au Tsar sa reconnaissance particulière pour la stricte justice à tous égards et l'assura de l'infinie reconnaissance de la population parisienne. Le comte Begnaud, chef de la police du Royaume, témoigna qu'il s'agissait d'un cas unique dans les Annales européennes, qu'un général arrivé à Paris des bords de la Néva réussisse à donner une telle leçon sur l'art subtil de gouverner le peuple.

Le Roi Louis XVIII offrit à celui qui l’installa sur le trône une tabatière entourée de diamants avec son portrait, et apporta aussi sa voix à ce chœur élogieux : « Rendant parfaitement justice à Votre comportement particulièrement sage dans ma bonne ville de Paris et à la sollicitude que Vous avez manifestée pour alléger dans la mesure du possible les lourdes épreuves endurées par Mes sujets, je tiens à Vous exprimer par ce présent, l’assurance de mon parfait respect et de ma sincère bienveillance ». Après cela, le roi lui décerna un ordre militaire du premier degré.

Le général comte M. Vorontsoff, commandant du corps d'occupation russe,fut honoré des mêmes sentiments enthousiastes de la partdes Parisiens et il reçut également de nombreuses expressions de gratitude pour le comportement particulièrement noble des troupes d'occupation.

Ainsi, force est de convenir que la Russie et le Tsar russe Alexandre Ier ont donné ici une leçon qui est un fait unique dans l'histoire de l'Europe, et nous ajouterons - d'autres pays également, une leçon de comportement noble et chrétien en temps de guerre dont nous tous, deux siècles plus tard, pouvons être fiers, et notre devoir est de porter cette réalité à un Occident étonnement oublieux. Dans son ouvrage, Marie-Pierre Rey ne pouvait manquer de noter à cet égard qu' « une vague de russophilie a déferlé sur le pays ». Il fut un temps où il ne pouvait être question de russophobie ! …

 

Protodiacre Germain Ivanoff-Trinadtzaty

 

 

Version russe :

Двухсотлетие победы над Наполеоном - Русские в Париже — Протодиакон Герман Иванов-Тринадцатый

https://www.karlovtchanin.eu/index.php/stati/738-dvukhsotletie-pobedy-nad-napoleonom-russkie-v-parizhe-protodiakon-german-ivanov-trinadtsatyj

Version anglaise in :

Imperial Russia: Aid to the United States and the World – A Collection of Historical Articles Commemorating the House of Romanov 400-th Anniversary, 1613-2013 (Stratford, CT: Birch Tree Publishing, 2019)