« Sur les fleuves de Babylone »

 

Plus nous nous rapprochons du Grand-Carême, plus nous entendons des prières particulières par lesquelles l'Eglise nous prépare à ce temps carémique de prière, de jeûne et de pénitence.

Le dimanche du Publicain et du Parisien, l'Eglise a entonné ce chant de pénitence «Ouvre-moi les portes de la pénitence, ô Donateur de vie», et ce dimanche du Fils prodigue s'ajoute une nouvelle prière que nous avons entendue aujourd'hui. C'est un des psaumes de David qui commence par ces paroles : «Sur les bords des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions, en nous souvenant de Sion» /Ps. CXXXVI, 1/

Ce psaume nous remet en mémoire un moment précis de l'histoire sainte que l'on découvre dans les paroles suivantes : «Souviens-toi, Seigneur, des fils d'Edom, qui disaient au jour de la ruine de Jérusalem : détruisez, détruisez-la jusqu'à ses fondements» /ibid., 7/. Ces paroles nous rappellent la tragédie vécue par le peuple d'Israël lorsque la ville de Jérusalem fut détruite par son conquérant – le roi de Babylone Nabuchodonosor et que le peuple d'Israël fut relégué en captivité sur les rives lointaines des fleuves babyloniens.

S'apprêtant à affronter et à repousser son conquérant, Israël s'assura de l'aide de son peuple-frère des Iduméens, descendants d'Esaüe, appelés «fils d'Edom». Ils avaient promis leur alliance au peuple juif, leur aide et leur soutien. Et ce psaume parle de leur trahison perfide, raconte quels traitres furent ces «fils d'Edom au jour de Jérusalem», en ce jour si terrible, gravé dans la mémoire de Jérusalem, lorsque des ennemis cruels et sans-pitié détruisaient la ville sainte et que « les fils d'Edom » au lieu de l'aide promise, clamaient : «Détruisez, détruisez-la jusqu'à ses fondements» ...

Devant qui dorénavant pouvaient se plaindre le peuple juif vaincu ? Le peuple vaincu d'Israël n'avait plus personne à qui s'adresser pour demander de l'aide. Et voilà qu'il s'adresse à Dieu : «Souviens-toi, Seigneur, des fils d'Edom le jour de Jérusalem», n'oublie pas, Seigneur, dans Ta justice ce jour terrible de Jérusalem, où ceux qui avaient promis d'être nos alliés ont accompli cette horrible trahison …

Toutefois le sens essentiel de ce chant «Sur les bords des fleuves de Babylone» n'est évidemment pas, pour nous chrétiens, dans cet aspect historique. Ce psaume nous apprend que les Juifs durant leur captivité à Babylone ont appris à aimer leur patrimoine sacré, à le préserver. Les oppresseurs cruels leur disaient : «Chantez-nous un cantique de Sion», et ils leur répondaient : «Comment chanterions-nous un cantique du Seigneur sur une terre étrangère?» /ibid., 3-4/.

Et bien nous, qui avons également vogué sur de nombreux fleuves loin de notre terre natale, nous devrions prendre exemple sur le peuple juif et devrions apprendre à aimer comme il le fit dans la captivité de Babylone à préserver notre patrimoine sacré, à le respecter, à le chérir.

Mais le sens spirituel de ce psaume nous a été donné par notre grand starets Ambroise conformément aux écrits patristiques. Dans une de ses lettres édifiantes, s'adressant à lui-même, il dit : «Fille de Babylone, toi ma chair maudite, quand apprendrai-je à briser tes enfants impies sur le roc de la foi?». Lorsque le péché est tout juste apparu dans notre âme, mais ne s'en est pas encore rendu maître, les saints Pères l'appellent «enfant impie», cela veut dire que c'est lorsque la tentation du péché pointe dans notre âme que nous pouvons et devons le vaincre. Si nous retenons en notre âme et notre esprit cette chose qui nous tente et nous séduit, si nous lui prêtons attention, elle devient alors de plus en plus aiguë et attirante, et plus elle reste en notre âme, plus elle sera difficile à vaincre. C'est pourquoi notre grand starets dit qu'il faut «briser ces enfants impies sur le roc de la foi». Il faut lutter contre le péché, le rejeter hors de nous, dès lors qu'il apparaît en notre âme et ne s'en est pas rendu encore maître, tant qu'il est encore faible comme un enfant.

Peut-être avez-vous lu ce récit où un vieux moine apprenait à un jeune novice à lutter contre les péchés et lui disait : «Arrache cet arbrisseau», ce que le novice fit sans peine. Et maintenant, arrache cet arbre-là », dit le moine. Cet arbre était beaucoup plus gros, plus vieux et le jeune novice l'arracha, mais avec beaucoup de peine. «Et maintenant arrache celui-ci», — dit-il en indiquant un vieux gros chêne, et bien évidemment le novice ne pouvait pas l'arracher. Le starets lui dit alors : «Souviens-toi, il faut lutter contre le péché dès qu'il se manifeste, sinon il se transforme en habitude et il devient très difficile de le vaincre, car imperceptiblement il s'emparera de ton âme et tu ne pourras plus t'en détacher».

Et c'est bien de cette lutte contre le péché dont nous parle ce chant «Sur les fleuves de Babylone» en nous apprenant que la moindre tentation pécheresse qui s'approche de nous doit être brisée sur le roc de la foi pour ne pas lui donner le temps de s'emparer de notre âme. Amen.

Saint Métropolite PHILARÈTE