A petits pas vers le Vatican
Chacun sait que dans une situation critique un coup de volant brutal peut entrainer plus de mal que de bien et pour cette raison il est généralement plus sage de s'en tenir à la politique des "petits pas". Chacun se souvient que c'est d'ailleurs ainsi que la trahison de l'Église Russe Hors-Frontières /EORHF/ a pu aboutir. Durant près d'une dizaine d'années les comploteurs ont ainsi pu mentir effrontément affirmant contre toute évidence qu'ils ne poursuivaient aucun dessein secret, que les accusations qui leurs étaient faites étaient sans fondement, que rien de secret ne se tramait dans le dos des fidèles, que les rencontres avec le clergé du Patriarcat de Moscou /PdM/ et les dirigeants post-soviétiques avaient pour seul objectif d'établir des relations humaines normales et apaisées après "la chute du pouvoir soviétique". Et voilà que soudain, un beau jour, sont publiés les documents des « Commissions de conciliation » avec des conclusions étonnantes, mais là encore, soucieux de prévenir toute réaction de la part des masses crédules qui pourraient comprendre enfin à quel point elles avaient été grugées, on leur dit qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter, car à l'occasion du IV° Grand-Concile de San-Francisco comprenant évêques, clergé et fidèles, chacun pourrait s'exprimer et tous les points de vue allaient être pris en compte. Bien que les membres de ce Concile aient été choisis de façon nullement innocente, au grand étonnement et désespoir des organisateurs, le Concile ne s'est en rien prononcé en faveur d'une union rapide au PdM, ce qui n'a d'ailleurs pas empêché les évêques réunis entre eux en Concile, de siffler la fin de la récréation et de rappeler au clergé et aux fidèles que leur avis n'était que consultatif et qu'il était temps de s'atteler sérieusement à la tâche. C'est ainsi que le 17 mai 2007, en présence du président Poutine et d'une multitude de chaines de télévision venues des quatre coins du monde, Mgr Lavr a piteusement déposé ses armes spirituelles aux pieds d'Alexis II. .
Les traitres avaient mené leur affaire de façon très habile : ils avaient pris soin tout d'abord d'enfumer leur auditoire puis, une fois l'opération menée à son terme, ils déclarèrent qu'il était dorénavant bien trop tard pour revenir en arrière.
Toutefois, en dépit des affirmations péremptoires et des versions officielles qu'un point final venait d'être enfin mis à la lutte des Blancs et des Rouges, que la Guerre civile était enfin terminée, malgré tous les efforts pour dissimuler la réalité, il faut bien savoir qu'il y a dans cette affaire un sérieux écueil que Moscou n'est d'ailleurs pas prête à pardonner à ses nouveaux partisans si peu dégourdis : c'est que toute l'Église Hors-Frontières est loin d'avoir déposé les armes.
Dès l'apparition du nouveau cours imprimé par le Synode et des preuves difficilement contestables montrant bien dans quelle direction soufflait le vent, une partie significative du clergé avait immédiatement rompu avec l'équipe de Lavr et Mark et de leurs partisans sans caractère, alors qu'une autre partie importante, constatant l'inanité de leurs efforts à vouloir empêcher le navire ecclésial de sombrer, rompit résolument avec les traitres le jour même de la signature de l'union. Il en résulte que le projet de Poutine visant à éliminer définitivement l'EORHF s'avère être en partie un échec. L'Église Hors-Frontières est aujourd'hui vivante et persiste à défendre la vérité historique tout en restant l'unique héritière de la Russie historique et de l'Église Russe millénaire.
Près de 4 années ont passé depuis ce triste jour de la signature de l'union et, à l'étonnement de beaucoup, parmi ces anciens membres de l'EORHF aujourd'hui intégrés au PdM, la vie coule on ne peut plus calmement. Comment faut-il l'interpréter ? En effet, par combien de reniements de leurs convictions et de leurs affirmations antérieures il leur a fallu passer sans un moindre mot, sans un moindre geste ! Tendant même la joue gauche en affirmant religieusement que ce qui s'était réalisé répondait au dessein de Dieu ! Mais que personne n'aille voir dans cette attitude l'expression d'une quelconque humilité chrétienne. Il n'y a là rien de saint, il s'agit tout simplement d'une désertion, d'une apostasie. Nous pensons être en droit d'employer un terme aussi fort, car il ne s'agit pas de broutilles, de questions secondaires, mais de questions de principes.
Souvenons-nous avec quelle légèreté ils ont oublié le problème du sergianisme et ont définitivement clos cette question pourtant primordiale, allant jusqu'à admettre une vision sergianiste de l'histoire. N'est-ce pas là une réelle désertion, une apostasie, si l'on considère tout ce à quoi ils croyaient et faisaient croire ?
Avec quelle légèreté ont-ils assimilé le mensonge manifeste selon lequel l'organisation ecclésiale dénommée « Patriarcat de Moscou », fondée par Staline sur la base de la Déclaration de loyauté au pouvoir soviétique, serait l'Église-Mère de Russie ? N'est-ce pas là encore une réelle désertion, une apostasie ?
Certains se consolent à cause du droit qui leur a été magnanimement concédé de ne pas commémorer le "patriarche" durant les cinq premières années suivant l'union. Mais y a-t-il vraiment là matière à consolation si ton évêque le commémore et toi tu commémores ton évêque ? Car tous les évêques, sans la moindre exception, non seulement le commémorent de bonne grâce, mais encore rivalisent de servilité à l'égard de ce même Kirill Gundiaev qu'ils considéraient il y a guère comme une personne odieuse et qui aujourd'hui est devenu « Notre Seigneur et Maître, Sa Sainteté le Patriarche » … N'est-ce pas là un mensonge et une forfaiture de plus ? Un mensonge qui d'ailleurs ne peut tromper personne d'autre que soi-même. Et tout cela, alors qu'au sein de la société russe, l'opinion voulant que l'Église n'ait jamais connu pareil discrédit que depuis que Kirill Gundiaev est à la tête du Patriarcat n'a jamais été aussi forte. Le PdM est devenu une corporation étatique hypertrophiée, toujours plus soucieuse de questions matérielles et d'accroissement de son parc immobilier et essentiellement préoccupée à satisfaire les attentes du pouvoir. Faut-il, dans ces conditions, s'étonner de la prolifération des sectes de toutes sortes qui, soit dit en passant, présentent un mode de vie souvent bien plus évangélique ?
On se souvient qu'ayant lâché pied dans la question du sergianisme, ces déserteurs de l'Église Hors-Frontières assuraient crânement qu'ils allaient être intraitables dans le domaine de l'œcuménisme et qu'ils finiraient par amener le PdM à renoncer définitivement à cette hérésie des hérésies. Et que voyons-nous ? Que reste-t-il des assurances enfantines d'un Mgr Mark disant qu'après l'union l'Église Hors-Frontières serait le levain qui ferait monter toute la pâte du PdM … Ayant obtenu une capitulation totale, ce dernier s'est empressé d'oublier ses promesses fallacieuses antérieures et, avec l'arrivée au pouvoir patriarcal de Kirill Gundiaev et de son acolyte Hilarion Alfeev à la tête des Relations extérieures, l'œcuménisme a acquis aujourd'hui rang de doctrine officielle du Patriarcat, s'abritant hypocritement derrière le slogan éculé de "familiarisation des hétérodoxes avec la vraie foi".
Dans ce domaine il convient tout spécialement de s'arrêter sur le soi-disant "Grand Concile de l'Église Orthodoxe", parfois baptisé par ses promoteurs "Huitième Concile Œcuménique". Il est vrai qu'après l'étude célèbre du saint archimandrite Justin Popovic, rédigée en mai 1977 à l'occasion de la convocation de ce conciliabule pan-orthodoxe, on évite d'en parler comme d'un "concile œcuménique". Le rigoureux savant serbe, théologien et confesseur de la foi saint Justin, dans son analyse scientifique des buts de ce conciliabule, l'avait caractérisé comme « une liste de thèmes scolastico-protestante, qui n'a aucun rapport substantiel avec l'expérience et la vie spirituelles de l'Orthodoxie » et qui mène le peuple de Dieu dans « des labyrinthes de plus en plus complexes où les entrainent les ambitions de certains, en raison desquelles, semble-t-il, on prépare depuis 1923 le Concile Œcuménique auquel on travaille aujourd'hui avec tant de hâte », tout en oubliant totalement le seul problème qui mette en péril l'existence même de l'Orthodoxie, à savoir l'œcuménisme. Il est un fait notoire que depuis des décennies Moscou et Constantinople se querellent à propos du leadership au sein de l'Orthodoxie universelle, et saint Justin n'a pas craint de dénoncer les ambitions de ceux qui « se posent en "meneurs" et en "représentants" de l'Eglise orthodoxe dans le monde ». Après 30 années de silence total, alors que l'on aurait pu imaginer que cette entreprise néfaste avait été définitivement enterrée, elle réapparait soudain avec fracas et de nouveau nous avons pu assister à la confrontation de ces deux ambitions lors de la Conférence récemment tenue à Chambésy (Suisse). Mais nous retiendrons spécialement le fait que "l'ambition de la partie soviétique" est aujourd'hui défendue par Hilarion Alfeev et Mark de Berlin … Et si l'on se souvient que Mgr Mark a forgé sa gloire au sein de l'EORHF sur sa prétendue proximité spirituelle et idéologique avec le saint starets serbe Justin, dont il aurait même, dit-on, reçu la confession avant que ce dernier ne meure, force est de constater là encore sa désertion spirituelle et son apostasie.
Les sympathies philo-catholiques de Kirill Gundiaev sont notoires. Il est en cela un fidèle disciple de ce fameux métropolite de Leningrad Nicodème Rotov, subitement mort au Vatican dans les bras de l'éphémère Jean-Paul I. Les rencontres, les échanges, les cadeaux, les assurances et autres déclarations fraternelles des éminences moscovites et vaticanes sont permanents. Il ne se passe pas une semaine qu'un nouveau "petit pas" ne soit fait en direction de l'union, sans oublier la visite de Medvedev à Benoît XVI. Poutine est entré dans l'histoire comme le principal réconciliateur du PdM et de l'EORHF, Medvedev ne serait pas contre de laisser sa trace comme le réconciliateur du PdM et du Vatican. Il ne sert à rien de faire des paris sur l'avenir, mais tous les observateurs sérieux s'accordent pour miser sur une rencontre du Pape et du "patriarche" en 2012. Naturellement, une rencontre ne signifie pas encore l'union, mais ce serait un sérieux pas en cette direction. Dès à présent, l'Occident est considéré par le PdM comme étant le "territoire canonique" du Pape. Et l'on se souvient de ce que saint Justin disait, à savoir que l'humanité avait connu trois chutes essentielles : Adam, Judas et le Pape … Il est donc possible d'imaginer quelle aurait été sa réaction à la lecture du dernier ouvrage de Benoît XVI Jésus de Nazareth que le cardinal Koch, Président du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens, a remis en mains propres il y a 15 jours à Kirill Gundiaev de la part du Pape. Ouvrage d'une érudition qui ne surprend personne, mais dans lequel l'auteur franchit une ligne très symbolique, affirmant notamment que le peuple juif n'est pas coupable de la mort du Christ. Certes, chaque homme doit se considérer coupable de la mort de notre Seigneur, mais ce qui est nouveau sous la plume du Pape, c'est d'interpréter les cris de la foule « que Son Sang soit sur nous et sur nos enfants » /Mat. XXVII, 25/, comme l'idée d'un Sang rédempteur et salvifique. Cette interprétation originale en rappelle une autre non moins osée, celle du père Serge Boulgakov présentant Judas comme une sorte de co-rédempteur du genre humain. On est curieux de savoir quelle sera la réaction de ceux qui avaient fait la promesse d'être inflexibles dans leur rejet de l'œcuménisme. Ou bien se tairont-ils là encore, faisant mine qu'il n'est rien là que de très naturel ?
Et donc, s'étant livrés au PdM, nos anciens frères avancent dorénavant "à petits pas" avec lui dans les bras du Vatican. Sur le site officiel du PdM en France on a pu récemment lire une petite annonce amusante « Les petits pas vers l'unité de l'Eglise russe à Lyon », où l'on apprenait que la communauté locale du PdM et l'ancienne paroisse Hors-Frontières rattachée aujourd'hui à Moscou, allaient s'unir dans une église fraternellement prêtée par les catholiques pour une célébration commune à l'occasion de la venue à Lyon de l'évêque dirigeant du Patriarcat. Evêque, qui d'ailleurs, ne manquera pas avant de quitter la capitale des Gaules de rendre officiellement visite au cardinal de Lyon en signe du fait que, ainsi qu'il est dit par l'auteur de l'article dans un commentaire quelque peu embrouillé, « cela souligne bien que le patriarcat reconnait leur succession apostolique et le 8e canon de Nicée (?!, protod. G.I.-T.). Notre présence sur leur territoire canonique se fait donc avec leur accord, et ce d'autant plus quand nous célébrons dans une église que le diocèse catholique met à notre disposition! ». Nous apprenons encore qu'à l'issue de la Liturgie un repas convivial a réuni une grande partie des participants dans le réfectoire d'une école catholique. « C'est aussi tout un symbole ! » s'exclame naïvement l'auteur en conclusion de son article, tout en exprimant le souhait que « ce premier petit pas soit suivi de beaucoup d'autres ».
Protodiacre Germain Ivanoff-Trinadtzaty