Aimez vos ennemis
Frères et sœurs bien-aimés en Christ, aujourd’hui l’Évangile nous place devant l’un des appels les plus exigeants et les plus lumineux du Seigneur. Le Christ nous dit : « Et comme vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux. Aimez vos ennemis, faites du bien, et prêtez sans rien espérer. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car Il est bon pour les ingrats et pour les méchants. Soyez donc miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux. » (Luc 6:35) Ces paroles ne sont pas seulement un conseil moral ou une invitation à être aimable. Elles sont un appel à entrer dans le cœur même de Dieu, à refléter dans notre vie l’amour sans mesure du Père céleste. Être miséricordieux, ce n’est pas simplement faire le bien par devoir ou par sympathie. C’est aimer selon la mesure divine, aimer même quand on ne reçoit rien en retour, aimer sans condition. La miséricorde dont parle le Christ n’est pas une émotion passagère. C’est un état du cœur qui voit en chaque personne l’image de Dieu, même défigurée par le péché, et qui répond à cette image avec douceur, compassion et respect. Le Seigneur nous appelle à dépasser la logique humaine du mérite et de la réciprocité. Il nous invite à vivre selon la logique du Royaume des cieux, où la justice n’est pas celle du talion, mais celle de la grâce.
Pour comprendre ce que cela signifie concrètement, l’Église nous donne des exemples vivants, des témoins de l’amour du Christ. Parmi eux, Saint Jean de Shanghai et de San Francisco brille comme une étoile dans la nuit du monde moderne. Né en 1896 dans une Russie bouleversée, il fut marqué dès son enfance par la prière, la simplicité et la foi. Devenu moine, puis évêque, il ne chercha jamais la gloire, ni le confort, ni la reconnaissance. Il se considérait comme le serviteur de tous, un pauvre du Christ. À Shanghai, alors que la ville était remplie de misère, de réfugiés et d’orphelins, il devint le père des sans-abris et des oubliés. On le voyait marcher pieds nus dans les rues, même en hiver, pour rendre visite aux malades et porter secours aux pauvres. Il fonda un orphelinat, et quand il n’avait rien à donner, il mendiait lui-même pour nourrir les enfants. Il priait toute la nuit pour eux, se souvenant de chacun par son nom. Ce n’était pas un philanthrope au sens humain, mais un homme habité par la compassion du Christ.
Saint Jean voyait dans chaque visage l’icône du Sauveur. Pour lui, il n’y avait pas de frontières entre les peuples, ni de barrières entre les âmes. Il priait pour tous, il aimait tous, sans juger. Il ne se contentait pas de prêcher l’amour, il le vivait dans les moindres détails de son existence. Ce qui est frappant, c’est que cet homme de miséricorde n’était pas un héros aux yeux du monde. Il était petit, frêle, souvent malade. Beaucoup se moquaient de lui à cause de son apparence négligée et de son comportement ascétique. Mais en lui brûlait une force surnaturelle, la force de l’amour crucifié. C’est dans sa faiblesse que la puissance de Dieu se manifestait.
Saint Jean passait des heures en prière, souvent debout, les bras levés, intercédant pour les vivants et pour les défunts. Il priait pour ceux qui l’insultaient, pour ceux qui le calomniaient. Il ne gardait dans son cœur aucune rancune. Quand on l’accusait injustement, il répondait par le silence et la bénédiction. C’est là le signe de la véritable miséricorde : aimer même quand on est blessé, pardonner même quand on n’est pas compris.
Mais avant de devenir archevêque à San Francisco, Saint Jean passa aussi plusieurs années en France, où il servit avec un zèle extraordinaire la communauté orthodoxe russe et francophone. Il vécut à Paris, à Versailles, et surtout, il exerça son ministère dans notre Église Saint-Nicolas à Lyon. Oui, frères et sœurs, dans cette même église où nous prions aujourd’hui, il a célébré la Divine Liturgie, confessé des âmes, enseigné, consolé, et laissé le parfum de la sainteté. Ici même, dans cette maison de Dieu, ses pas ont retenti, ses prières ont monté vers le Ciel, ses larmes ont coulé pour le monde. Nous ne parlons donc pas d’un saint lointain, mais d’un père spirituel qui a marché parmi nous, dans notre ville, dans notre église, et qui continue d’intercéder pour nous du haut des cieux. On disait de lui qu’il ne dormait que quelques heures par nuit, car il passait le reste du temps en prière. Lorsqu’on lui demandait pourquoi il se fatiguait ainsi, il répondait simplement : « Comment pourrais-je dormir paisiblement quand tant d’âmes souffrent ? » Il disait aussi : « Les gens cherchent des miracles, mais le plus grand miracle, c’est quand un cœur commence à aimer. »
Ce miracle, Saint Jean l’a vécu chaque jour. Son amour n’était pas sentimental, mais concret. Il prenait soin des corps et des âmes, il pleurait avec ceux qui pleuraient, il se réjouissait avec ceux qui se relevaient. Après sa mort, en 1966, des milliers de personnes vinrent se recueillir auprès de son corps. Beaucoup furent frappés de voir qu’il demeurait incorrompu, comme si le Seigneur voulait montrer que l’amour véritable ne meurt pas. Ce n’était pas seulement un signe extérieur, mais la confirmation de cette parole du Christ : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. »
Frères et sœurs, le Seigneur ne nous demande pas de devenir tous des saints connus, mais Il nous appelle chacun à vivre la miséricorde là où nous sommes et avec les forces que nous avons. Peut-être ne pouvons-nous pas fonder des orphelinats, ni parcourir les rues pieds nus, mais nous pouvons ouvrir notre cœur à ceux qui souffrent près de nous. Nous pouvons commencer par de petites choses : ne pas juger trop vite, pardonner à celui qui nous a blessés, prier pour nos ennemis, donner un mot de consolation, un sourire, une aide discrète. Ce sont ces gestes simples qui transforment le monde.
Être miséricordieux, c’est refuser la dureté du cœur. C’est croire que chaque être humain peut être relevé par la grâce. C’est choisir d’aimer, même quand on ne le ressent pas, même quand cela coûte. La miséricorde n’est pas une faiblesse ; elle est la force du Royaume. Elle seule peut vaincre le mal et désarmer le démon. Quand nous aimons comme le Christ, nous devenons ses témoins, ses icônes vivantes dans ce monde.
Frères et sœurs, regardons la vie de Saint Jean et laissons-nous toucher. Lui, un homme simple, fragile, est devenu un phare de lumière pour des générations entières. Pourquoi ? Parce qu’il a pris au sérieux l’Évangile. Il a cru que ces paroles : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux », étaient faites pour être vécues. Il n’a pas attendu que le monde change pour aimer. Il a aimé, et le monde autour de lui a commencé à changer.
Que chacun de nous fasse de même. Que dans nos familles, nos communautés, nos cœurs, la miséricorde prenne racine. Que nous apprenions à voir le Christ dans le visage de ceux qui nous entourent, surtout dans celui des plus petits et des plus faibles. Car c’est là que le Seigneur se cache. Et lorsque nous agissons ainsi, le Royaume de Dieu n’est plus loin : il commence ici, dans le secret de nos âmes transformées par l’amour.
Que Saint Jean de Shanghai et de San Francisco intercède pour nous, afin que nous recevions cette grâce de la miséricorde. Qu’il nous apprenne à aimer sans mesure, à pardonner sans conditions, à servir sans rien attendre. Et qu’à travers nos vies, le monde puisse entrevoir la lumière du Père céleste, Lui qui est bon et miséricordieux envers tous. Amen.
Prêtre Zhivko Zhelev