La femme courbée

 

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, Amen.

Bienaimés frères et sœurs en Christ,

L’Évangile du jour nous parle d’une scène simple, presque ordinaire : Jésus enseigne dans une synagogue un jour de sabbat. Mais cet instant est bouleversé par la venue d’une femme courbée depuis dix-huit ans, « oppressée par un esprit », dit l’Évangile. Elle ne peut pas se redresser. Elle vit littéralement inclinée vers le sol, incapable de regarder le ciel.

Aujourd’hui, à travers cette femme, c’est chacun de nous que le Christ rejoint. Car si nous ne sommes peut-être pas courbés physiquement, nous connaissons tous cette expérience : celle d’être plié, alourdi, écrasé par quelque chose qui nous dépasse — une souffrance, une culpabilité, un souci, une peur, une habitude mauvaise, un péché. Et souvent, comme la femme de l’Évangile, nous nous sommes habitués à cet état. Dix-huit ans ! Une vie entière courbée. Peut-être n’espérait-elle même plus la guérison.

Mais le Christ, Lui, voit ce que nous ne voyons plus. Il voit cette femme. Il la voit entièrement. Il la voit comme Dieu voit chaque être humain : non pas dans l’état où la maladie, les épreuves ou le péché l’ont laissé, mais dans l’état où Dieu veut le relever.

L’Évangile dit : « Jésus l’appela ». Il l’appelle, elle, personnellement, au milieu de la foule. Elle n’a pas demandé de miracle. Elle n’a pas crié vers Lui. C’est la compassion du Christ qui prend l’initiative. Frères et sœurs, n’attendons pas d’être parfaits pour nous présenter devant Dieu, on en sera pas. N’attendons pas d’avoir « mérité » Sa miséricorde. L’amour de Dieu nous précède toujours. Le Christ nous appelle tels que nous sommes — courbés, fatigués, blessés — pour nous relever.

Ensuite, Jésus lui dit : « Femme, te voilà délivrée de ton infirmité. » Puis il pose les mains sur elle, et elle se redresse immédiatement et glorifie Dieu.

Ce redressement est plus qu’une simple guérison physique : c’est un symbole puissant de la restauration de l’image divine en l’homme. Le péché et les souffrances du monde nous font regarder vers la terre, vers nos limites, vers nous-mêmes. Le Christ, Lui, nous relève et nous redonne la capacité de regarder vers le ciel, vers la Vie, vers Dieu.

Mais l’Évangile ne s’arrête pas là. Immédiatement surgit l’indignation du chef de la synagogue : « Il y a six jours pour travailler », dit-il. Quelle étrange réaction ! Un être humain qui souffre depuis dix-huit ans vient d’être guéri, et lui s’attache à une règle mal comprise.
Frères et sœurs, reconnaissons-le humblement : ce chef de synagogue peut aussi vivre en nous. Il représente la logique légaliste, la logique du jugement, la rigidité d’un cœur qui préfère l’ordre à l’amour, la lettre à l’esprit, les habitudes à la miséricorde.

Le Christ répond avec autorité et douceur : « Hypocrites ! Chacun de vous ne détache-t-il pas son bœuf ou son âne pour le mener boire le jour du sabbat ? Et cette femme, une fille d’Abraham, que Satan tenait liée depuis dix-huit ans, ne fallait-il pas la délivrer le jour du sabbat ? »

Quelle est la leçon ?

Le sabbat, jour de repos, jour consacré à Dieu, n’est pas annulé par le miracle — il trouve au contraire son accomplissement. Car le véritable repos, le véritable sabbat, c'est la délivrance de l’être humain, sa guérison, sa restauration. Lorsque l’homme est libéré, alors Dieu est glorifié.

Aujourd’hui encore, frères et sœurs, nous risquons de réduire la foi à des règles mécaniques. Mais la vie chrétienne, la vraie vie ecclésiale, n’est pas un système de prescriptions rigides : elle est la rencontre vivante entre Dieu et l’homme. La loi existe pour conduire à la vie, jamais pour empêcher la miséricorde.

Cette femme est appelée par Jésus « une fille d’Abraham ». Elle est reconnue dans sa dignité profonde. Elle n’est pas définie par sa maladie, ni par ses faiblesses, ni par son passé. Elle est une personne précieuse aux yeux de Dieu.

Frères et sœurs, c’est ainsi que Dieu nous regarde. Nous ne sommes pas définis par notre péché ou nos chutes, mais par l’amour que Dieu nous porte et par la vocation divine qu’Il a déposée en nous.

Alors que pouvons-nous retenir pour nos propres vies ?

D’abord, présentons-nous au Christ avec nos courbures. Soyons honnêtes devant Dieu. Ne dissimulons pas ce qui en nous a besoin d’être guéri. La prière, la confession, la vie sacramentelle sont les lieux où Dieu veut poser Sa main sur nous.

Puis, ne laissons pas la rigidité du jugement habiter nos cœurs. Apprenons à nous réjouir du bien qui arrive aux autres, à accueillir l’action de Dieu même lorsqu’elle surprend, même lorsqu’elle bouscule nos habitudes.

A la fin, soyons des instruments de relèvement. Quand nous rencontrons quelqu’un qui marche courbé — par la tristesse, par l’échec, par la honte — ne le jugeons pas. Appelons-le, comme le Christ appelle la femme. Une parole de bonté peut parfois être une main posée sur un cœur blessé.

Enfin, rappelons-nous que notre vocation n’est pas de vivre courbés vers la terre, mais dressés vers le ciel. Le Christ vient nous redonner la dignité perdue, Il vient nous redresser chaque fois que nous tombons, Il vient nous conduire vers la liberté des enfants de Dieu.

Frères et sœurs, que chacun de nous entende aujourd’hui cette parole du Seigneur : « Te voilà délivré. Redresse-toi. Regarde vers Dieu. Marche dans la liberté. » Amen !

 

Prêtre Zhivko Zhelev